INSPIRATION
Cette recherche est inspirée du texte L’expérience-limite, tiré du livre
L’entretien infini de Maurice Blanchot (1969). Et, où, je m’intéresse à la
notion d’« expérience de la non-expérience » (Blanchot, 1969, p.311) dont
l’auteur fait référence, à propos de L’expérience intérieure de Georges
Bataille (2014).
PRÉMISSES
Vouloir expérimenter la non-expérience (Blanchot,
1969, p. 311), pour étudier l’indécidabilité des rencontres et leur contenu sensible[1]
et médiatif[2],
c’est aussi avoir comme idée de départ d’explorer comment j’adopte une posture
d’errance.
La forme ou la force théorique du projet, comme
connaissance de ce que je veux toucher, laisse en défaut la forme pratique de
ce que je cible réellement. Au contraire de mes projets antérieurs, où la forme
pratique est d’abord explorée, c’est-à-dire que je cible une expérience
concrète (dans un système en jeu) :
-
Tricoter sur la place publique [3];
-
Ouvrir un espace au dialogue sur une piste cyclable[4].
Je cible, sans savoir ce que je touche précisément
comme forme théorique. Les manœuvres, pour réaliser mes propositions
artistiques, activent ce qui fait œuvre, soit la relation opérante entre moi et
les autres. C’est pourquoi, pour cette recherche, j’ai voulu me donner le
pouvoir de ne pas succomber au pouvoir de cibler, par la manœuvre (la pratique),
là où se situe l’indécidabilité : la forme théorique (philosophique) en
jeu.
TERRITORIALITÉS
Du contexte déambulatoire de
même nature prévue (marcher seule à partir de chez moi, à cinq reprises), j’ai
réalisé plusieurs expérimentations de natures différentes. Ce qui ne m’a pas
empêché d’explorer des territorialités différentes, comme prévu. J’ai arpenté les
terrains de l’autre (Certeau, 1980, p.60.) sous ces trois associations :
-
Celui de parenté, de près
(relatif à l’identité) ;
-
Celui de voisinage, d’intermédiaire
(relatif à la solidarité) ;
-
Celui d’étrangeté, de
loin (relatif à la citoyenneté et à l’abstrait).
Ces associations
déambulatoires m’ont aussi donné l’occasion de prendre en considération ce que
Fernand Deligny appelle des « lignes d’erres » (Certeau, 1980, p.57)
et où le concept de projet n’est pas opérant. Cette errance est, pour moi et
dans le processus de la recherche, une trajectoire relationnelle indéterminée. Me
déposer sur un système simple, comme je pouvais le penser de la déambulation,
s’est avéré siéger dans la complexité. Une complexité qui m’est propre ; à
savoir…
J’ai aussi pu cerner
certaines conditions de l’indécidabilité d’où émerge le symbolique lié à une
rencontre. Elles pouvaient être de l’ordre :
-
Des pensées (au-delà et avant-même la réflexion) (Blanchot,
1969, p.310) ;
-
Des affects (l’angoisse et le désir) ;
-
Des faits (conditions sociales, physiques, de lieux ou
d’abstractions).
Ces conditions sont des
éléments relationnels liés à l’inconnu, à l’impossible et à l’imprévu. Du coup,
j’ai pu cerner les éléments relationnels liés au connu, au possible et au
prévisible. Ils impliquent :
-
Des associations et des perceptions ;
-
Des habitudes et des convenances.
En fait, ces éléments
relationnels sont ce qui rattache l’individu à l’utile et à la servitude.
DÉMOBILISATION
Je vis encore ces parcours
d’hésitations empruntés comme un « rapport à l’inconnu » (Blanchot,
1969, p. 315) ; d’être toujours dans un espace d’échange, au sens
dialogique. Telle une posture de démobilisation (qui me saisit et qui me
dessaisit) et qui, selon moi, est une condition même du lien éprouvé avec et
entre les gens rencontrés. Cette posture de va-et-vient m’a aussi été une
manière d’adopter la façon d’être de l’autre vis-à-vis l’inconnu. Leurs signes
méthodiques, face aux systèmes, m’apparaissent semblables à des lignes d’erres
(Certeau, 1980, p.57). Puisque leurs manières d’agir divergent, en quelque
sorte, des miennes.
L’écoute de la tactique[5]
(Certeau, 1980, p.60) de l’autre et de ses négociations, dans une situation
déstabilisante, est une forme de communication qui exige la souveraineté
(Blanchot, 1969, p.306). C’est-à-dire qu’elle se désœuvre, elle va au-delà
d’une limite de l’utile (Blanchot, 1969, p. 306). Là se trouve l’indice du
symbole en devenir. C’est-à-dire l’espace inconnu où il y a fusion en valeur de
conditions de pensées, d’affects et de faits ; l’espace du sacrifice de
l’utile.
Des déambulations réalisées a
émergé une potentialité matérielle d’un travail artistique à venir. Seulement,
cette chose, porteuse d’une expérience ou d’une non-expérience n’a pas encore
trouvée sa nécessité. J’en suis là. Indépendamment du fait qu’au départ la
nature même de l’expérience se voulait être l’œuvre.
[1]
À mon sens, le sensible est toujours en mouvement et il dépend de l’intensité.
Un contenu sensible est tenu dans certaines limites (personnelles, sociales ou
physiques) et il représente les données de l’expérientiel. C’est un contenu se
transformant par l’événement, où l’on peut distinguer un avant et un après de
ce qui le caractérise. Un contenu sensible est ce qui participe à la communication.
[2]
Ce qui sert de lien ou ce qui met en rapport ; la négociation est sa forme.
Dans le Dictionnaire du Moyen Français, l’adjectif médiatif signifie « servir d’intermédiaire pour ». http://www.cnrtl.fr/definition/dmf/MÉDIATIF
[3]
Dans mes projets, je vais au pas qui vient. C’est-à-dire que le pas généré par
autrui, au cours de mes projets, détermine en quelque sorte l’orientation du
projet. Je tends à laisser de plus en plus l’action d’autrui guider le sens de
mes projets. De faire en sorte que cette dimension d’action vive d’elle-même.
Et c’est en ce sens que j’ai exploré les différentes interprétations d’un
monde, lors de mon infiltration au centre-ville de Quito, en Équateur. Voir Annexe
A.
[4]
Ma proposition Un dialogue à la fois
visait des cyclistes et des joggeurs ; un groupe social s’associant au
caractère de la mobilité comme condition sociale. En occupant l’espace d’une
piste cyclable (longeant, d’est en ouest, une voie ferrée à Montréal) par des
chaises, tout en identifiant ma posture prête au dialogue, je brouillais le
rapport que ces gens pouvaient avoir à ce territoire. En fait, j’offrais à un
certain groupe social de vivre quelque chose de différent de ce qu’il associe à
ce lieu de déplacements : une circulation et un partage de la pensée. J’ai
ainsi fait usage d’un rapport de ressemblance entre différentes réalités
(dialogue et circulation routière). Où des symboles et leur interprétation se
sont unis en un système de représentation et de description pour servir
l’expérience d’ouverture ; l’espace de la différence. Voir Annexe B.
[5]
Chez de Certeau, la tactique est « l’action calculée que détermine
l’absence d’un propre » (1980, p.60). Tandis que la stratégie, pour lui,
renvoie au « calcul (ou [à] la manipulation) des rapports de forces (…)
elle postule un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre »
(1980, p.59).
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